09 декември 2008

Saison des semailles. Le soir

C'est le moment crépusculaire.
J'admire, assis sous un portail,
Ce reste de jour dont s'éclaire
La dernière heure du travail.

Dans les terres, de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D'un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.

Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.

Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin,
Rouvre sa main, et recommence,
Et je médite, obscur témoin,

Pendant que, déployant ses voiles,
L'ombre, où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu'aux étoiles
Le geste auguste du semeur.
Victor HUGO
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Leçons de Bulgare
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25 ноември 2008

Adieu

Hélas ! je n'étais pas fait pour cette haine
Et pour ce mépris plus forts que moi que j'ai.
Mais pourquoi m'avoir fait cet agneau sans laine
Et pourquoi m'avoir fait ce coeur outragé ?

J'étais né pour plaire à toute âme un peu fière,
Sorte d'homme en rêve et capable du mieux,
Parfois tout sourire et parfois tout prière,
Et toujours des cieux attendris dans les yeux ;

Toujours la bonté des caresses sincères,
En dépit de tout et quoi qu'il y parût,
Toujours la pudeur des hontes nécessaires
Dans l'argent brutal et les stupeurs du rut ;

Toujours le pardon, toujours le sacrifice !
J'eus plus d'un des torts, mais j'avais tous les soins.
Votre mère était tendrement ma complice,
Qui voyait mes torts et mes soins, elle, au moins.

Elle n'aimait pas que par vous je souffrisse.
Elle est morte et j'ai prié sur son tombeau ;
Mais je doute fort qu'elle approuve et bénisse
La chose actuelle et trouve cela beau.

Et j'ai peur aussi, nous en terre, de croire
Que le pauvre enfant, votre fils et le mien,
Ne vénérera pas trop votre mémoire,
Ô vous sans égard pour le mien et le tien.

Je n'étais pas fait pour dire de ces choses,
Moi dont la parole exhalait autrefois
Un épithalame en des apothéoses,
Ce chant du matin où mentait votre voix.

J'étais, je suis né pour plaire aux nobles âmes,
Pour les consoler un peu d'un monde impur,
Cimier d'or chanteur et tunique de flammes,
Moi le Chevalier qui saigne sur azur,

Moi qui dois mourir d'une mort douce et chaste
Dont le cygne et l'aigle encor seront jaloux,
Dans l'honneur vainqueur malgré ce vous néfaste,
Dans la gloire aussi des Illustres Époux !
Paul VERLAINE (1844-1896)
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Leçons de Bulgare
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20 октомври 2008

" Où es-tu ? ", disait-elle, errant sur le rivage

Où des saules trempaient leurs feuillages tremblants ;

Et des larmes d'argent coulaient dans ses doigts blancs

Quand elle s'arrêtait, les mains sur son visage.



Et lui, errant aussi sur un sable sauvage

Où des joncs exhalaient de longs soupirs dolents,

Sous la mort du soleil, au bord des flots sanglants,

S'écriait : " Où es-tu ? ", tordant ses mains de rage.



Les échos qui portaient leurs appels douloureux

Se rencontraient en l'air, et les mêlaient entre eux

En une plainte unique à la fois grave et tendre ;



Mais eux, que séparait un seul pli de terrain,

Plus désespérément se cherchèrent en vain,

Sans jamais s'entrevoir et sans jamais s'entendre.



Auguste ANGELLIER (1848-1911)